En réponse à la question posée : comment écrivez-vous ?

 
Ciel5

En réponse à la question posée : comment écrivez-vous ?

 

Il n’y a pas de règle. Chaque pièce nécessite et suscite son chemin. A chaque pièce différente, un temps de travail différent, un rythme différent, un cadre différent. Comme si c’était vivant ce geste d’écrire, donc en constante modification.

Il me semble travailler essentiellement sur deux points: ce que l’on peut nommer la « nécessité profonde » et ce que l’on peut nommer « l’artisanat des mots ».

La « nécessité profonde », c’est assez mystérieux. Ça vient peut-être de la jungle intérieure, cet endroit de l’être que l’on est sans savoir, cet endroit obscur, que l’écriture tente de défrîcher, de déchiffrer. Il me semble toujours partir d’une ignorance, une ignorance qui me titille, une ignorance excitante. Mais ce n’est pas mental, ce n’est pas décidé intellectuellement, ça arrive, ça devient brûlant. Dans certains cas, je crois deviner pourquoi tel sujet et tels personnages s’imposent. Dans d’autres cas, je ne sais pas pourquoi. Simplement il y a chaque fois un mystère de l’être humain que, par l’écriture, je tente de rendre plus intelligible. Non pas intelligible aux autres à partir de mes certitudes, mais d’abord intelligible à moi-même, parcourant pour cela, pendant l’aventure de l’écriture, un chemin de mots que j’ignorais; et sans doute qu’en cherchant à partager cette recherche avec d’autres ( lecteurs, auditeurs, spectateurs), j’essaie d’offrir en même temps le désarroi qui fait que je ne peux pas me passer d’écrire et la jubilation qu’il arrive d’éprouver quand, soudain, une clarté apparaît sur le brouillon ou sur le vide ; clarté de quelques mots, de quelques phrases, de quelques pages…

Pour essayer de ne pas être mue par une autre énergie que par ce que j’appelle « nécessité profonde », je m’efforce de ne pas volontariser l’écriture. Concrêtement cela donne beaucoup d’heures blanches, des sujets qui flottent en l’air, de la flânerie gaie et de la flânerie anxieuse ; puis parfois une certitude d’avoir à écrire ça.

Il me semble que la « nécessité profonde » n’a rien à voir avec la biographie ou le narcissisme. Je veux dire par là qu’on peut écrire sur la guerre, sans l’avoir vécue, avec cette nécessité ; mais cette nécessité est plus obscure, plus essentielle, plus personnelle et plus intime que la pensée, certes louable, qu’il est nécessaire d’écrire sur la guerre.

Le travail que l’on peut nommer « l’artisanat des mots » est  plus matériel. Chaque mot est porteur de sons et de sens. Il me semble vouloir leur faire rendre leur jus, le plus de jus possible. Que le langage provoque en même temps de la pensée, de la musique et de la saveur.

Bien sûr je lis. Bien sûr j’écoute. Bien sûr j’ai un copain: le dictionnaire ; et même plusieurs.

Ce que j’essaie de trouver c’est un langage à la fois simple et aigu, une organisation des mots les plus parlés qui leur donne une résonnance forte, plus marquante qu’à l’accoutumée. Les mots rares ne m’interressent que rarement. C’est plus éclatant de découvrir un autre sens, une autre sensualité dans un mot de tous les jours. Mais là aussi, il n’y a pas de règle.

Ce qui me semble vraiment délicat dans « l’artisanat des mots », c’est le travail des écarts de langage. A l’intérieur d’un même rôle ou bien entre les rôles. Pour chaque pièce j’essaie de trouver une unité de langage, et, à l’intérieur de cette unité, le plus de liberté possible ; rester dans le vif.

Je suis assez acharnée sur les brouillons. La plupart du temps, après un premier jet, plus ou moins jailli, je reste des heures, le nez sur les mots, les déplaçant, les remplaçant. Cet « artisanat des mots » me semble à la fois exaltant et éprouvant. Peut-être est-ce la peur des mots qui me fait écrire ? La peur du trop-plein de mots qui bouche le sens, empêche la pensée, et la peur des mots à côté, des mots faux. Toujours est-il que je supprime beaucoup, et que le travail consiste le plus souvent à élaguer un premier jet.

Par cet « artisanat des mots », je ressens de plus en plus leur puissance, leurs pouvoirs maléfiques et leurs pouvoirs bénéfiques.

Et, pour finir, quelques remarques anecdotiques sur moi-personnellement-en personne quand j’écris :

J’aime le silence souvent, la musique parfois, le papier pelure bleu, l’encre noire, mon stylo, le chocolat, le thé illimité, être dehors l’été, partir écrire dans une maison inconnue et déserte, pouvoir bouger, lire à voix haute ce qui vient d’être écrit, arpenter, froisser le brouillon qui déçoit, écrire debout, couchée, assise…

Je n’aime pas les marteaux-piqueurs, le téléphone, les contraintes horaires, l’ordinateur, ne pas pouvoir faire ce que j’aime (voir plus haut! ).

Catherine Anne

Mai 1995 / Pour Prospéro