Juste une parole …

 

Juste une parole …

Ecrire sur… En évitant d’écrire sûr.  Sûr de quoi ? Qui peut être sûr d’avoir quelque chose à déclarer sur ? Sur le théâtre…

Théâtre… T majuscule ou t minuscule ? T’es majuscule, quand tu discoures, t’es minuscule quand tu parles. Haine du discours, amour de la parole. Discours et parole…

Le discours est vite cassant, toujours il étouffe, le discours tend à éloigner celui qui l’écoute. La parole tend à rapprocher.

Voilà pourquoi, plus volontiers que « sur », j’écris « pour ».

Pour…

Pour des êtres vivants. Pour des comédiens, pour des spectateurs. Pour la scène…

Scène… Espace vide ( libre ? ), tremblant d’être habité par les corps et par les mots. Espace vide ( ouvert ? ), où mettre la vie humaine en parole, en conflit, en mouvement, en interrogation, en beauté, en émotion, bref! en théâtre. Oui…

Oui ! Ecrire pour le théâtre en acceptant de frôler le ridicule, le misérable. Ecrire parce qu’il est difficile d’être humain et au monde, et de bien comprendre, et que le théâtre existe, depuis toujours, miraculeusement fort dans sa précarité, comme un lieu de compréhension, de partage, d’écoute, de regard, de considération. Dans une époque si fascinée par sa propre mise en images et ses capacités techniques, c’est faire acte de résistance, que travailler dans un lieu-dit « théâtre », lieu essentiel, qui, pendant le temps donné de la représentation, et sans duplication possible, réunit quelques êtres humains vivants . Et, dans ce lieu-dit « théâtre » si fasciné par sa propre histoire et sa valeur culturelle, c’est faire acte de vie que de prendre, aujourd’hui, le risque des mots .

Écrire pour le théâtre, c’est travailler la parole pour la donner à prendre, d’abord aux comédiens, puis, grâce à eux, à chaque spectateur. Par la représentation, les mots prennent corps; et, si ces mots viennent d’être écrits, le spectacle s’adresse directement, sans filtre historico-culturel, à chaque spectateur, mettant en jeu le présent.

Présents… Pourquoi les écrivains sont-ils si peu présents dans nos théâtres aujourd’hui ? Si peu présents sur scène, si peu présents dans les coulisses ? Il est clair que je ne porte pas plainte en mon nom, puisqu’assumant la concrétisation scénique (oui oui! la mise en scène…) de mes textes, je suis présente, en tant que metteuse en scène, dans les théâtres, dans les débats, dans les revues (ici aussi). Mais je déplore que les auteurs soient généralement si peu visibles, si écartés de la scène, qui est ou devrait être aussi leur espace de travail.

Voilà, voilà… Enfin, pour le dire en une phrase, le théâtre comme espace culturel ne m’intéresse guère, ce qui me passionne, c’est une mise en théâtre du vivant, par un travail minutieux et tenace sur le verbe et la chair; une perpétuelle recherche de sens ( le sens et les sens).

Quant à la mise en scène, c’est secondaire (éthymologiquement !).

Catherine Anne

Juillet 1994 / Revue d’esthétique n° 26,  Jeune Théâtre, ed. Jean-Michel Place