Réponse d’un auteur vivant à Jean-Pierre Thibaudat

 
Ciel2

Réponse d’un auteur vivant à Jean-Pierre Thibaudat

Le 24 février 2006

En tant que vivante, et écrivaine et directrice du Théâtre de l’Est parisien, je me sens interpellée par l’article de Jean-Pierre Thibaudat, paru le lundi 20 février sous le titre « Y a-t-il un auteur bien vivant ? ».

Depuis quatre ans, avec sincérité et avec conviction, j’ai choisi de mener au Théâtre de l’Est parisien ( autrefois TEP), pour la population de proximité et pour tous les amateurs de théâtre curieux, une politique artistique radicale : du théâtre de textes écrits par des écrivains vivants (biologiquement), et même, la plupart du temps, francophones !!!

Pourquoi ?

Parce qu’ils sont vivants et qu’ils choisissent d’écrire pour le théâtre, afin d’exprimer quelque chose du monde d’aujourd’hui et de notre humanité.

Parce que, vivants, ils peuvent rencontrer les gens, les spectateurs, et je sais combien cette rencontre peut être forte, combien elle peut apporter à chacun des armes nouvelles, pour continuer à vivre, à réfléchir, à ressentir …

Parce que vivants – provisoirement-, ils écriront encore –peut-être – .  Et, pour un auteur, être joué, pouvoir suivre les répétitions, être proche du plateau, des comédiens, du metteur en scène, assister, au milieu des spectateurs, à la représentation d’une de ses pièces, peut être précieux. Cela nourrit les pièces à venir, cela participe à l’élaboration de l’œuvre. C’est un engagement, qui me semble valable, pour le théâtre d’art, de parole et de proximité, dont je rêve en dépensant les fonds publics ! ( Petits fonds pour les auteurs vivants, ne propageons pas de mensonges.)

Évidemment, parmi la grosse vingtaine d’écrivains joués au Théâtre de l’Est parisien, depuis quatre saisons, il n’y aura pas une grosse vingtaine (ni même une petite) de classiques du XXI° siècle, quand d’autres envisageront notre époque, avec une perspective historique et littéraire.

Et alors ? Il faut des vivants pour faire des morts !

Et parmi ces vivants, certains compteront longtemps. Mais il est difficile de savoir aujourd’hui qui résistera le mieux au passage du temps. Soyons modestes ! Souvenons-nous des nombreux revirements d’appréciation qui font considérer évidentes aujourd’hui des œuvres autrefois méprisées ou rejetées.

Certes, tous les spectacles issus de pièces d’aujourd’hui, ne sont pas réussis, mais il y a toujours quelque chose du présent qui s’échange, et lorsque la pièce touche, elle atteint chaque spectateur au cœur de sa réalité. Et cela compte. Et cela produit un théâtre qui ne se prétend pas d’abord culturel ou référentiel. Et cela vaut de se battre. Et cela vaut d’accepter de se tromper parfois. D’être au raz du présent, de ne pas avoir la distance qui permette de « trier » entre les bons vivants, les vrais vivants, les vivants déjà morts… D’ailleurs, le public ne s’y trompe pas. Et certains apprécient d’être impliqués, comme spectateurs, dans l’aventure du théâtre d’aujourd’hui, en train de s’écrire.

Néanmoins, nous choisissons chaque pièce que nous offrons au public, avec la conviction de proposer une œuvre singulière et de qualité, quelque soit son style. Nous pouvons être critiqués, même sévèrement, j’en accepte le risque, et je préfère un intérêt critique qu’une absence.

Mais je trouve problématique le gros plan que l’article de Jean-Pierre Thibaudat semble faire sur les auteurs vivants, car il ne me paraît pas correspondre à la réalité d’aujourd’hui. Les auteurs vivants en passe de devenir des fonctionnaires du théâtre ? Alors qu’ils cherchent constamment à survivre. Plus précaires encore que les intermittents, et mille fois plus que les permanents des théâtres. Ils écrivent, avec plus ou moins de talent, plus ou moins d’ambition, plus ou moins de malignité, plus ou moins de réussite, mais fonctionnaire, cela a dû en faire bondir plus d’un !

Aussi, par respect pour le travail et pour la conviction de certains, par respect pour les grands moments de théâtre issus de mises en scène de pièces d’aujourd’hui, par respect pour l’émotion des spectateurs, enfants ou adultes, qui entrent dans le plaisir du théâtre grâce aux auteurs vivants, pas d’amalgame, pas de généralité, pas d’affirmation assassine! Je ne comprends pas ce qui motive une telle attaque. D’autant que Jean-Pierre Thibaudat a plus, d’une fois, montré son intérêt et sa conviction en écrivant sur tel ou tel écrivain (bien vivant).

Un petit mouvement de militants du théâtre d’auteurs vivants existe en France. Il reste minoritaire dans le théâtre public. Il n’est pas suffisamment relayé par l’ensemble de la profession, ni suffisamment relayé par les médias. Ce qui fait que Laurent Gaudé (écrivain de théâtre, puis romancier, puis goncourisé, mais toujours vivant ) me disait l’autre jour hésiter à continuer à écrire pour le théâtre, pas par manque de désir, ni par mépris pour ceux qui jouent ses pièces, mais parce que c’est « trop dur ». Et là il parlait de production et d’attention portée par ceux qui décident ce qui vaut et ce qui ne vaut pas.

Catherine Anne