L’écriture et le mystère de l’enfance

 

L’écriture et le mystère de l’enfance

 

L’enfance est un mystère. Le désir d’écrire est un mystère.
L’enfance est un mystère pour celui ou celle qui en est sorti.
L’écriture est un mystère pour celui ou celle qui n’écrit pas.
Mais dedans aussi nous sommes plongés dans le mystère.
Qu’est-ce qu’un enfant sait de l’enfance ?
Qu’est-ce qu’un écrivain sait de l’écriture ?

Il me semble qu’écrire c’est plus ou moins consciemment plonger dans un mystère et que ce mystère a pris ses racines dans l’enfance. L’enfance d’abord de celle ou celui qui écrit.

La catastrophe, plus ou moins violente, plus ou moins visible, fulgurante ou lente, la catastrophe sur laquelle une vie d’adulte pousse est toujours dans l’enfance..

L’enfance, temps où les mots manquent pour exprimer le plaisir et la souffrance.

L’enfance, temps étiré dans la volonté de mettre au clair ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on reçoit, et ce qui manque aussi.

L’enfance, ce temps du désir : de grandir, de saisir, de comprendre et de se faire comprendre.

Mes premières pièces puisaient toutes leurs forces dans le magma de l’enfance.

Une année sans été – Combien de nuit faudra-t-il marcher dans la ville – Éclats – Tita-Lou : quatre pièces d’enfance, pour adultes évidemment. Puis il y a eu Le temps turbulent, avec l’irruption d’un personnage enfantin « Le petit fantôme » chantant face au désir et à la peur d’enfanter des personnages adultes. Puis Agnès pièce sur l’éclatement et la reconstruction d’une fille qui a subi de longues années d’inceste paternel. Pas une pièce pour enfants, Agnès, une pièce d’enfant qui hurle sous le bâillon.

Coïncidence professionnelle : c’est juste après Agnès que j’ai écrit ma première pièce consciemment et volontairement « pour » enfants. Ah là là ! quelle histoire met en jeu deux personnages nés des contes d’autrefois, Pouce-Pouce arrière petit-fils du petit Poucet et Petite-Peau arrière petite fille de Peau d’Âne. Pouce-Pouce et Petite-Peau se rencontrent et réussissent, grâce à cette rencontre, à traverser « la Forêt défendue » – espace inquiétant fourmillant de dangers et de désirs.

Depuis cette pièce, j’ai écrit alternativement des pièces pouvant être vues par des enfants et des pièces plus particulièrement adressées aux adultes et aux jeunes gens. Mais au fond, c’est le même geste d’écriture. Le même désir de traverser grâce aux mots une de mes forêts défendues. Le même désir de jouer avec un des mystères – nombreux- qui me restent de l’enfance.

C’est pourquoi je ressens la même plongée dans la profondeur de l’être humain et de ses ressorts secrets, en écrivant pour les adultes et pour les enfants. En réalité, je n’écris peut-être que pour tenter de concilier l’adulte que je suis devenue avec l’enfant que j’étais.

Du coup, il y a peut-être dans mes pièces accessibles aux enfants, un chemin proposé au public : celui de créer du lien, de la connivence entre les adultes et les enfants. Tout en permettant à l’adulte de ressentir l’enfance enfouie en lui, et en proposant aux enfants une fenêtre vers le monde des adultes.

Catherine Anne, 11 mai 2010.

Soirée UDAF au Théâtre de l’Est parisien,
suite à La Nuit Même pas Peur de Claudine Galea